François-Charles Desprat a été élu président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ). Lui-même mandataire, associé et membre fondateur de l’étude MJ Synergie, il revient sur les grands chantiers qui l’attendent à la tête de l’organe représentant l'ensemble d’une profession.

Décideurs. Après deux ans en tant que vice-président, vous reprenez la tête du CNAJMJ. Quels sont les chantiers en cours ?

François-Charles Desprat. J’ai été pleinement associé par Frederic Abitbol [président du CNAJMJ de 2022 à 2023, ndlr] aux décisions et chantiers importants du Conseil National depuis deux ans. Il y a donc une forme de continuité, je suis informé de tous les sujets relatifs à notre profession. Nous entamerons de nouveaux projets et poursuivrons certains qui ont été lancés pendant le mandat précédent. Nous avons la conviction que la modernisation des professions d’AJMJ passera par le développement du numérique. Ainisi, notre projet phare est la construction d’un nouveau portail électronique de dématérialisation des créances, qui doit être opérationnel en 2025.  Il a été inclus dans la nouvelle loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice. Le gouvernement nous a accordé sa confiance sur la mise en place de cette plateforme. Par ailleurs, le principe du paiement par le déclarant d’une somme pour déclarer sa créance, mais à un coût inférieur à celui d’une lettre recommandée, a été validé. Le financement du lancement de cette plateforme sera porté par le CNAJMJ et l’apport des ressources provenant des déclarants, permettra d’assurer le fonctionnement et le développement de cet outil. Par la suite, nous pourrons mettre celui-ci à profit pour traiter d’autres sujets comme le traitement des revendications, les consultations de créanciers dans le cadre de plan, ou même effectuer des paiements à l’égard des créanciers. Cette plateforme servira également de vitrine à la modernité de la profession. Elle va toucher tous les grands déclarants, dont les administrations et les établissements financiers. Ce projet aura des répercussions en interne et en externe.

"Nous souhaiterions simplifier les voies d’accès en les unifiant."

Aujourd’hui, plusieurs formations existent pour accéder aux professions d’administrateur et de mandataire, comment souhaitez-vous faire évoluer ces voies d’accès ?

Actuellement deux voies coexistent. Le parcours traditionnel, très sélectif, est sanctionné par un double examen avec des épreuves écrites et orales à chaque étape. Après un premier examen d’accès les candidats réalisent un stage de 36 mois, à l’issue duquel ils passent un examen d’aptitude. La seconde voie a été inaugurée en 2017, avec la création des masters Administration et liquidation des entreprises en difficulté (ALED). L’enseignement théorique est très bon mais il est suivi d’un stage de seulement 30 mois et d’une soutenance de mémoire pour permettre l’obtention du diplôme. Nous jugeons ce parcours moins exigeant, car il est sans contrôle. Le CNAJMJ a fait une proposition afin de garantir un niveau de formation d’une qualité équivalente. Nous souhaiterions simplifier les voies d’accès en les unifiant. Pour cela, nous proposons de conserver les masters ALED, qui sont de bonnes formations, de prévoir un stage de 36 mois, obligatoire, suivi d’un examen de sortie unique à tous les candidats, sur le même mode que l’examen d’aptitude. Nous avons le soutien des 5 directeurs de masters en France et des discussions avec le ministère de la justice et celui de l’Enseignement supérieur sont à l’œuvre. Cette réforme nécessite toutefois une modification de la loi et la difficulté est de trouver le bon véhicule législatif. Ce chantier est à mon agenda pour ce mandat.

Quant à vous, pourquoi vous êtes-vous orienté vers la profession de mandataire ?

 La mère d’un de mes amis d’enfance travaillait dans une étude, qui cherchait à recruter un étudiant susceptible de devenir un futur professionnel. À l’époque, je terminais mon DESS, je connaissais la fonction mais n’en avais qu’un aperçu. J’ai intégré l’étude et bien accroché avec le métier. Nous avons tous des histoires différentes quant à ce qui nous a amené à exercer le métier d’AJMJ.

"J’ai le sentiment que l’on sort de ses fonctions de président en étant un meilleur professionnel qu’auparavant"

Comment vivez-vous votre nouvelle élection à la présidence du CNAJMJ ?

Si je suis là, c’est par passion, et pour rendre à la profession ce qu’elle m’a apportée. Certes, la fonction exige un lourd investissement personnel mais elle est enrichissante sur le plan intellectuel. C’est aussi l’occasion unique de porter un nouveau regard sur nos métiers et de prendre de la hauteur par rapport à notre quotidien. J’ai le sentiment que l’on sort de ses fonctions de président en étant un meilleur professionnel qu’auparavant. J’ai aussi la chance d’être entouré d’une très bonne équipe, avec Florence Tulier-Polge à la vice-présidence, ainsi que des professionnels expérimentés et reconnus. Toutefois, pendant l’exercice de ces fonctions, il ne faut pas perdre de vue également son étude car il faut conserver la confiance des Tribunaux qui nous désignent. J’ai la chance d’être très bien secondé par des collaborateurs compétents et investis.

Où en est le CNAJMJ dans ses rapports avec l’Association de garantie des salaires (AGS) à la suite des contentieux qui vous opposent ?

Les désaccords avec l’AGS nous ont fait beaucoup de mal depuis 2019. Actuellement deux contentieux nous opposent, l’un sur le volet pénal à la suite d’une plainte déposée par l’AGS pour détournements de fonds, et l’autre sur le volet civil. Nous savons qu’aucun détournement n’a été commis, et avons hâte que ce dossier se referme. Un nouveau directeur a été nommé à la tête de l’AGS, et semble enclin au dialogue, ce qui est un bon signal mais ce ne sera possible qu’une fois le volet pénal clos. Quant à nos différends sur le plan civil, j’espère que nous trouverons des solutions pour les résoudre et une relation saine et de confiance avec cet organisme, partenaire historique de nos professions.

"Nous portons notamment un projet d’élargissement des missions des AJMJ"

 Dans un contexte où le recours aux AJMJ augmente, du fait de la hausse du nombre d’entreprises en difficulté, mais aussi d’une évolution législative avec la création de classes de parties affectées pour lesquelles les AJMJ sont sollicités, ressentez-vous une plus grande exposition de la profession ? Et comment l’appréhendez-vous ?

Il nous tient à cœur d’exposer davantage la profession, notre savoir-faire et de faire profiter de nos compétences en dehors des situations de difficultés financières des entreprises. Nous portons notamment un projet d’élargissement des missions des AJMJ. Les administrateurs et mandataires sont actuellement soumis à un statut contraint, or nous souhaiterions développer des activités de médiation, ou encore de conciliation en dehors de procédures préventives. Le CNAJMJ a par exemple signé une convention avec l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (ARASC). Aujourd’hui, nos activités sont limitativement énumérées, pourtant la crise sanitaire l’a montré, nous pouvons mettre à profit nos compétences sans perdre notre métier de base. 

"L’année 2024 verra sûrement un volume important de dossiers par le biais du rattrapage des assignations"

Quel regard portez-vous sur l’augmentation du nombre de défaillances d’entreprises, considéré comme un retour à la normale, par rapport aux années post-Covid ?

Le volume habituel des défaillances d’entreprises se situe autour de 50.000 dossiers par an. Cependant, en cas de crise aigüe et je pense notamment à l’année 2008, ce nombre est monté à 60 000 mais c’était exceptionnel.  En 2023, 55 000 défaillances ont été enregistrées, provenant en très grande partie de déclarations de cessation de paiement soit des démarches volontaires de chefs d’entreprises qui poussent la porte du tribunal pour faire état de leurs difficultés. Les assignations reprennent depuis la fin de l’année 2023. L’année 2024 verra sûrement un volume important de dossiers par le biais du rattrapage des assignations, notamment de l’URSSAF qui a repris ses actions après les avoir stoppées pendant la crise sanitaire. Il faut aussi garder à l’esprit que 94% des entreprises concernées par les procédures collectives comptent entre 1 et 9 salariés. Notre quotidien reste celui de la petite entreprise. Enfin, je souhaite insister sur le développement des procédures de prévention des difficultés qui sont très efficaces, elles permettent d’obtenir dans 70 à 80% des cas, des solutions de sortie positives. Il faut qu’elles continuent de progresser. Comme en médecine, plus on anticipe les maux, mieux ils seront traités.

 

Propos recueillis par Céline Toni

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